La nouvelle obligation d’information précontractuelle

Par Arnaud Magerand, Avocat associé - Camacho & Magerand - La Tribune de l'Assurance, le 04/04/2017

Après deux tentatives demeurées infructueuses, la réforme du droit des contrats a enfin vu le jour et a été adoptée par voie d’ordonnance le 10 février 2016. Les nouvelles dispositions sont entrées en vigueur le 1er octobre 2016. Quelles incidences en phase de préparation du contrat d’assurance ?

Après deux tentatives demeurées infructueuses (1), la réforme du droit des contrats a enfin vu le jour et a été adoptée par voie d’ordonnance le 10 février 2016. Les nouvelles dispositions sont entrées en vigueur le 1er octobre 2016 et revêtent pour l’heure, et tant qu’elles n’ont pas été ratifiées par le Parlement, une valeur simplement réglementaire. Le projet de loi portant ratification de l’ordonnance a été déposé le 6 juillet 2016 et ce n’est qu’après la ratification par les assemblées que les nouvelles dispositions acquerront valeur légale.

Conformément aux principes de l’application de la loi dans le temps, l’ordonnance s’applique immédiatement à tous les contrats conclus à compter du 1er octobre 2016, y compris aux contrats renouvelés, reconduits tacitement et aux avenants modifiant substantiellement l’accord initial conclu à compter de cette date. Tous sont assimilés à de nouveaux contrats par la réforme (art. 1214 et 1215 C. civ). A contrario, les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 obéissent au principe dit de la survie de la loi ancienne et ne seront pas concernés par le nouveau droit commun.

Sans bouleverser considérablement le droit existant, le toilettage opéré par l’ordonnance se veut général et concerne toutes les étapes de la vie du contrat, de sa négociation à son extinction, en passant par ses modes de transmission.

S’il est exact que l’Ordonnance introduit des nouveautés notoires, parmi lesquelles la révision judiciaire du contrat en cas de circonstances imprévisibles, la cession de dette ou encore la cession de contrat, son impact doit être relativisé puisqu’à bien y regarder les nouvelles dispositions entérinent nombre de règles anciennes et consacrent majoritairement les acquis de la jurisprudence. L’une des plus belles illustrations de ce mouvement est la consécration dans le Code civil de la jurisprudence relative à l’obligation d’information précontractuelle (art. 1112-1 C. civ).

Introduite dans une nouvelle sous-section intitulée « Les négociations », cette obligation a pour finalité de moraliser la phase de préparation du contrat en mettant chacune des parties dans l’obligation de communiquer à l’autre tous les éléments essentiels de l’opération envisagée et d’établir ainsi un équilibre des connaissances préalables. Pierre angulaire de la transparence précontractuelle, l’article 1112-1 pose un principe général d’obligation d’information précontractuelle ayant vocation à régir tous les contrats (I) et à s’articuler avec les dispositions spéciales éventuellement applicables à certains accords, telles que les règles applicables au contrat d’assurance (II). A l’évidence, les conditions et modalités de l’obligation posée à l’article 1112-1 du Code civil suffiront à garantir le respect d’une information adaptée et efficace et permettront de sanctionner tout manquement préjudiciable. Pourtant, le législateur a voulu compléter le dispositif d’information générale par des règles spécifiques au contrat d’adhésion (III) en organisant, notamment, la communication des conditions générales (art. 1119 C. civ). Symbole du contrat d’adhésion, le contrat d’assurance est directement visé par ce dispositif et devra se soumettre aux nouvelles exigences gouvernant l’opposabilité des conditions générales (IV)


I – La consécration de l’obligation générale d’information précontractuelle (art. 1112-1 du Code civil)

Le nouvel article 1112-1 du Code civil dispose que : « Celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.

Néanmoins, ce devoir d'information ne porte pas sur l'estimation de la valeur de la prestation.
Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.

Il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de prouver que l'autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l'a fournie.

Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.
Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d'information peut entraîner l'annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants ». 

Ce texte, étoffé, détermine l’exacte teneur de l’obligation d’information précontractuelle générale, ses modalités, ses limites et sa portée. Le devoir est mis à la charge de toutes les parties au contrat, sans distinction de qualité, et ne pose d’autres conditions subjectives que celle de la légitimité de l’ignorance ou de la confiance du créancier. On précisera d’emblée que la nouvelle obligation d’information précontractuelle revêt un caractère d’ordre public et ne peut être écartée par la volonté des parties (art. 1112-1 alinéa 5 du Code civil).

Logiquement, les informations à communiquer sont celles « dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre » et le caractère substantiel demeure donc une condition de la mise en œuvre de la responsabilité. Pour autant, l’article 1112-3 du Code civil propose lui-même une définition des informations substantielles qu’il réduit aux seules informations « qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties ». Ce faisant, le législateur propose une interprétation très objective du caractère substantiel et semble dispenser le créancier de la preuve de ses attentes réelles, et notamment du fait qu’il n’aurait pas conclu le contrat s’il avait eu l’information. Reste à savoir ce que sont les informations ayant « un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties ». Là est sans doute la difficulté d’appréciation principale de ce nouvel article 1112-1 du Code civil qu’il appartiendra à la jurisprudence de résoudre par œuvre interprétative. 


II – L’obligation générale de droit commun et les dispositions spéciales du droit des assurances

Dans son traité, Le contrat d’assurance, le professeur Jean Bigot écrit que « le Code des assurances n’est pas la seule source du droit du contrat d’assurance. Il faut y ajouter le droit commun, le droit de la consommation, le droit administratif, le droit européen » (2). Complément du droit spécial des assurances, le droit commun des contrats, nouvellement mis en place, est donc susceptible d’avoir un impact sur les relations entre l’assureur et l’assuré, aussi bien pendant l’exécution du contrat que pendant la phase précontractuelle. La question se pose ici de l’articulation entre le droit commun et le droit spécial des assurances.

Un premier élément de réponse est apporté par le nouvel article 1105 du Code civil qui énonce que « les contrats, qu’ils aient ou non une dénomination propre, sont soumis à des règles générales, qui sont l’objet du présent sous-titre. Les règles particulières à certains contrats sont établies dans les dispositions propres à chacun d’eux. Les règles générales s’appliquent sous réserve de ces règles particulières » (3).

Par ce principe specialia generalibus derogant, le législateur préserve donc les particularismes des droits spéciaux, parmi lesquels le droit des assurances, et garantit la prévalence de règles particulières sur les règles générales. Appliqué à l’information précontractuelle, ce principe cantonne l’article 1112-1 du Code civil à la subsidiarité. La règle générale sera subsidiaire puisque son application dépendra de l’existence ou non d’une règle spéciale susceptible de satisfaire les mêmes objectifs d’information précontractuelle. Elle sera complémentaire lorsqu’elle permettra de compléter un texte spécial insuffisamment protecteur. 

L’épreuve de la confrontation entre l’article 1112-1 du Code civil et les textes de droit des assurances spécifiques à l’information précontractuelle est riche d’instructions. Plusieurs exemples le montrent :


L’obligation d’information précontractuelle prévue par l’article L113-2-2° du Code des assurances – Ce texte prévoit l’une des principales obligations d’information précontractuelle spécifiques à la charge de l’assuré. Il impose à tout souscripteur au moment de la déclaration des risques de : 

« Répondre exactement aux questions posées par l'assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque par lequel l'assureur l'interroge lors de la conclusion du contrat, sur les circonstances qui sont de nature à faire apprécier par l'assureur les risques qu'il prend en charge ». 

L’obligation d’information mise ainsi à la charge de l’assuré garantit la communication parfaite des informations précontractuelles et est entièrement conforme au principe général de l’article 1112-1 du Code civil, lequel n’aurait donc pas à intervenir sur cette question.

Cependant, l’étude de la jurisprudence interprétative de ce texte oblige à s’interroger sur la réalité d’une éviction totale et sans conditions de la règle de droit commun. On sait, en effet, que la Cour de cassation a limité le domaine de l’obligation de déclaration des risques aux seules questions posées par l’assureur lors de la souscription. Dès 1993, en effet, la Haute cour jugeait en ce sens qu’ « il ne peut être reproché au souscripteur de n’avoir pas fait de déclaration allant au-delà de la seule question posée au jour du contrat » (4). Elle confirmait cette interprétation à propos des fausses déclarations par un arrêt du 7 février 2014 rendu par la chambre mixte en décidant que «  l’assureur ne peut se prévaloir de la réticence ou de la fausse déclaration intentionnelle de l’assuré que si celle-ci procède des réponses qu’il a apportées auxdites questions » (5).  

Mais, alors, réserver l’obligation de l’article L113-2 du Code des assurances aux seules questions posées par l’assureur n’ouvre-t-il pas, corrélativement, la voie à la règle générale de l’article 1112-1 du Code civil pour toutes les informations non visées par le texte spécial ? Autrement dit, la responsabilité délictuelle de l’assuré pourrait-elle être engagée s’il ne fournit pas à l’assureur une information essentielle non visée par le questionnaire, dès lors qu’elle est en « lien direct et nécessaire avec le contrat ou la qualité des parties », et, par voie de conséquence, déterminante ? L’articulation des deux règles permettrait alors à l’assureur d’obtenir l’annulation du contrat d’assurance ou seulement des dommages et intérêts selon que l’information est, respectivement, en lien ou non avec les questions posées par lui.

Aussi fidèle soit-elle au principe de la délimitation des règles spéciales et générales, cette analyse se heurte à plusieurs obstacles non négligeables. D’un point de vue purement pragmatique instaurer une obligation d’information précontractuelle au-delà des limites du questionnaire revient à contraindre le candidat à l’assurance à recenser toutes les informations qui lui paraissent essentielles mais ne lui sont pas demandées. Or, comment imposer au souscripteur, qui remplit les formulaires sur internet ou sur papier, de se singulariser en apportant des réponses à des questions qui ne lui auraient pas été posées ? Plus juridiquement, et au regard de la qualification de contrat d’adhésion du contrat d’assurance, l’assuré ne dispose pas d’un pouvoir de négociation du contenu du questionnaire. Il ne saurait donc lui être reproché de n’avoir pas modifié l’énoncé du questionnaire, même en faveur de l’assureur. Enfin, il est probable que la jurisprudence à venir considère que les informations extérieures au questionnaire ne sont pas des informations « dont l’importance est déterminante pour le consentement » de l’assureur au sens de l’article 1112-1 du Code civil.

Finalement, il est peu probable que l’entrée en vigueur du nouvel article 1112-1 du Code civil modifie le droit existant et ouvre la porte à une indemnisation au-delà de limites réservées à la sanction de la nullité prévue par l’article L113-8 du Code des assurances. 


L’obligation d’information précontractuelle de l’article L112-2 al. 1er - Dans sa rédaction de la loi n° 89-1014 du 31 décembre 1989, ce texte régissant les modalités de la conclusion du contrat d’assurance et la transmission des polices prévoit entre autres que : 

« L’assureur doit obligatoirement fournir une fiche d’information sur le prix et les garanties avant la conclusion du contrat ». 

Au fil des ans, ce texte n’a eu de cesse de s’étoffer, l’assureur étant tenu : 

  • « de remettre à l’assuré un exemplaire du projet de contrat et de ses pièces annexes ou une notice d’information sur le contrat qui décrit précisément les garanties assorties des exclusions, ainsi que les obligations de l’assuré » (loi n° 94-5 du 4 janvier 1994),
  • « dans les documents remis au preneur d’assurance de préciser la loi qui est applicable au contrat si celle-ci n’est pas la loi française, les modalités d’examen des réclamations qu’il peut formuler au sujet du contrat » (loi n° 2003-706 du 1er août 2003, art. 80-III-1),
  • « pour les contrats « responsabilité civile », la remise d’une fiche d’information décrivant le fonctionnement dans le temps des garanties déclenchées par le fait dommageable, le fonctionnement dans le temps des garanties déclenchées par la réclamation, ainsi que les conséquences de la succession de contrats ayant un mode de déclenchement différent » (loi n° 2003-706 du 1er août 2003, art. 80-III- IV et VII).

L’arsenal et la complétude des règles spéciales au droit des assurances, ainsi élaborées par le législateur, laisse peu de place au droit commun.

Toutefois, il est important de rappeler que les dispositions de l’article L112-2 al. 1er ne sont pas applicables aux grands risques visés à l’article L.111-6 du Code des assurances, et ce en application de l’article R112-2. La question se pose alors de savoir si le principe général d’information précontractuelle de droit commun ne pourrait pas investir la négociation précontractuelle de ces garanties particulières. 

L’obligation d’information précontractuelle en présence d’un contrat d’assurance sur la vie et d’un contrat de capitalisation – Les articles L132-5 et suivants du code des assurances réglementent précisément l’obligation d’information précontractuelle de l’assureur à l’occasion de la conclusion d’un contrat d’assurance sur la vie ou de capitalisation.

L’article L132-5 du Code des assurances énonce, tout d’abord, la teneur des informations à communiquer à l’assuré avant la conclusion du contrat :

« Le contrat d'assurance sur la vie et le contrat de capitalisation doivent comporter des clauses tendant à définir, pour assurer la sécurité des parties et la clarté du contrat, l'objet du contrat et les obligations respectives des parties, selon des énonciations précisées par décret en Conseil d'Etat. Le contrat précise les conditions d'affectation des bénéfices techniques et financiers ».

Ce texte est complété par l’article L132-5-2 du code des assurances qui oblige l’assureur à communiquer au candidat à l’assurance une note d’information sur les modalités d’exercice de la faculté de renonciation à l’assurance prévue par l’article L132-5-1 du Code des assurances et sur les dispositions essentielles du contrat. Le contenu de la note d’information est imposé à l’assureur.

Or, le défaut de remise des documents et informations par l’assureur entraîne la prorogation du délai de renonciation de trente jours prévu à l’article L132-5-1 du Code des assurances.

La sanction est d’une grande sévérité et la Cour de cassation n’hésite pas à en faire usage strictement (6).

L’obligation d’information précontractuelle des intermédiaires d’assurance – La loi impose aux intermédiaires d’assurance une obligation d’information précontractuelle conséquente. L’article L520-1 du Code des assurances dresse une longue liste d’informations que l’intermédiaire doit communiquer selon les cas :

  • « Avant la conclusion d’un premier contrat d’assurance, l’intermédiaire mentionné à l’article L511-1 doit fournir au souscripteur éventuel des informations relatives notamment à son identité, à son immatriculation et aux procédures de recours et de réclamation, ainsi que, le cas échéant, à l'existence de liens financiers avec une ou plusieurs entreprises d'assurance ».
  • « Avant la conclusion de tout contrat, l'intermédiaire doit :

1° Donner des indications quant à la fourniture de ce contrat (…)
2° Préciser les exigences et les besoins du souscripteur éventuel ainsi que les raisons qui motivent le conseil fourni quant à un produit d'assurance déterminé. Ces précisions, qui reposent en particulier sur les éléments d'information communiqués par le souscripteur éventuel, sont adaptées à la complexité du contrat d'assurance proposé
 ».

  • « Avant la conclusion d'un contrat d'assurance individuel comportant des valeurs de rachat, d'un contrat de capitalisation, ou avant l'adhésion à un contrat mentionné à l'article 132-5-3 ou à l'article L441-1, l'intermédiaire est soumis au respect des dispositions de l'article L132-27-1, qui se substituent au 2° du II du présent article ».

Ces dispositions spéciales sont censées protéger l’assuré et nul doute qu’elles continueront à primer sur le droit commun. 

En définitive, il apparaît que l’obligation générale d’information précontractuelle portée par l’article 1112-1 du Code civil n’aura que peu d’occasions d’investir le droit des assurances et que ses incursions, en ce domaine, demeureront ponctuelles et particulièrement ciblées.

Mais, l’étude des nouveaux textes révèle que l’obligation d’information précontractuelle n’est pas cantonnée à l’énoncé d’une règle générale et fait l’objet d’un dispositif plus complexe lorsque le contrat est un contrat d’adhésion. 


III – L’information précontractuelle renforcée en présence d’un contrat d’adhésion

La modernisation du droit des contrats visée par la réforme de 2016 obligeait évidemment à tenir compte de l’importance sociale du contrat d’adhésion, dont il est peu de dire qu’il est devenu le contrat majoritairement conclu par les Français. La définition du contrat d’adhésion fait son entrée dans le Code civil à l’article 1110 alinéa 2nd qui énonce que « le contrat d'adhésion est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l'avance par l'une des parties ». Logiquement, l’article 1110 doit être lu à l’aune de l’article 1119 du Code civil spécifiquement consacré à la question de l’opposabilité des conditions générales selon lequel « les conditions générales invoquées par une partie n’ont effet à l’égard de l’autre que si elles ont été portées à la connaissance de celle-ci, et si elle les a acceptées ».

En faisant dépendre le régime de l’opposabilité des conditions générales de la prise de connaissance et de l’acceptation de ces dispositions par leur destinataire, l’article 1119 met corrélativement à la charge de l’auteur des conditions générales une obligation de communication préalable distincte de son devoir général de l’article 1112-1 du Code civil. En somme, le contrat d’adhésion se définit par l’existence de conditions générales imposées par l’une des parties et se réalise grâce à leur communication et leur acceptation par l’autre. L’obligation d’information précontractuelle, en ce qu’elle porte a minima sur les droits et obligations prévus dans les conditions générales, est donc inhérente à l’efficacité juridique de l’opération contractuelle d’adhésion.

Le système mis en place par la réforme est contraignant pour ceux qui initient la conclusion de contrats d’adhésion dès lors que, s’ils omettent de communiquer et de faire accepter les conditions générales du contrat, ils subiront la double sanction de l’inopposabilité des conditions générales (art. 1119 C. civ) et de la mise en œuvre de leur responsabilité précontractuelle (art. 1112-1 C.civ).

Cette disposition revêt une importance cruciale dans le rapport assureur/assuré puisque le contrat d’assurance comporte nécessairement des conditions générales. Les assureurs devront donc être attentifs au fait que les conditions générales font l’objet d’une acceptation distincte et autonome. On sait qu’en pratique, les conditions générales peuvent être remises à l’assuré après la conclusion du contrat d’assurance lui-même et lui être adressées sans formalités particulières. La jurisprudence, elle-même, pouvait faire preuve de souplesse en considérant que ces conditions générales étaient opposables à l’assuré dès lors qu’elles faisaient partie des documents mentionnés dans la proposition d’assurance signée par l’assuré (7) ou étaient attachées au contrat souscrit (8).

Cette époque est révolue. L’assureur doit désormais, à l’aune des nouvelles dispositions, communiquer les conditions générales et obtenir du proposant qu’il les accepte spécifiquement. Concrètement, l’assureur devra , a minima, insérer dans la proposition d’assurance une clause à approuver - ou à cocher - selon laquelle le souscripteur reconnaît avoir eu communication des conditions générales et qu’il en accepte les termes. Par précaution, il sera même recommandé de faire signer ces conditions générales, ce qui va sans doute accélérer le processus de souscription par Internet.


IV – Précisions sur la communication et l’acceptation des conditions générales du contrat d’assurance

L’article 1119 du Code civil reste silencieux sur les modalités de communication et d’acceptation des conditions générales et leur mise en œuvre risque fort de soulever quelques difficultés pratiques évidentes. Certaines d’entre elles sont en lien avec l’obligation d’information précontractuelle et auront des incidences en matière d’assurances.

L’article 1119 du Code civil est-il d’ordre public ? - Contrairement à l’article 1112-1 du même code, aucun alinéa de l’article 1119 ne précise le caractère impératif de l’obligation d’information et de recueil de l’acceptation des conditions générales. La tentation pourrait être grande alors de s’engouffrer dans cette brèche et de prévoir, dans les conditions particulières, une disposition permettant d’échapper aux contraintes de communication et d’acceptation des conditions générales. Mais, il est à craindre que la jurisprudence à venir ne consacre pas cette liberté contractuelle et impose aux parties le strict respect des exigences de l’article 1119 du Code civil. La raison en est que ce texte constitue en réalité une mesure de renforcement de l’information précontractuelle générale prévue à l’article 1112-1 du même code en doublant l’obligation de communication d’une acceptation du cocontractant. Les parties ne devraient donc pouvoir s’accommoder à leur guise de la communication et de l’acceptation des conditions générales et toute clause contraire aux exigences de l’article 1119 du Code civil sera vraisemblablement réputée non écrite.

Les conditions générales de l’assureur pourraient-elles être communiquées et acceptées après la conclusion du contrat ? – A priori, rien ne s’oppose à ce que l’assureur transmette les conditions générales à l’assuré après l’accord sur les conditions particulières. L’article 1119 du Code civil s’attache seulement à prévoir les modalités d’acquiescement aux conditions générales sans évoquer aucune contrainte temporelle. Cette analyse est corroborée par le fait que l’alinéa 3 de ce texte règle la question d’un éventuel conflit entre les conditions générales et les conditions particulières en posant, comme il est admis d’ailleurs par la jurisprudence pour le contrat d’assurance (9), le principe de la prévalence de ces dernières. En somme, les droits et obligations acceptés par l’assuré dans les conditions particulières ne pourront pas être remis en cause par l’adhésion postérieure à des dispositions contraires ou inconciliables. La sécurité juridique du cocontractant est assurée quel que soit le contenu des conditions générales remises ultérieurement. Reste toutefois que certaines précautions doivent être rappelées à propos des conditions générales tardives. Il va de soi, tout d’abord, que ces dispositions demeurent soumises à l’article 1119 du Code civil et doivent être communiquées à l’assuré puis acceptées par lui sous peine de lui être inopposables. Ce qui revient à dire alors que le consentement donné pour les conditions particulières ne saurait valoir acceptation tacite des conditions générales ultérieures. Cette analyse paraît incontournable dans la mesure où le caractère tardif de la communication de ces dispositions n’altère en rien le fait qu’elles sont un ensemble de règles autonomes et soumises à un régime spécifique.

En cas de changement des conditions générales de l’assureur, la nouvelle version est-elle soumise aux exigences de l’article 1119 du Code civil ? - Dès lors que ce texte vise à garantir la connaissance réelle de toutes les dispositions générales du contrat, il paraît logique d’admettre que la modification de conditions générales de l’assureur soit obligatoirement soumise à l’accord de son assuré. On ne saurait imaginer que l’acceptation des conditions générales initiales puisse équivaloir à un blanc-seing valable pour les versions ultérieures. En droit des assurances, cette interprétation est conforme à la jurisprudence déjà existante puisque, dans un arrêt du 29 mars 2012, la Cour de cassation avait jugé que les nouvelles conditions générales édictées par l’assureur n’étaient opposables à l’assuré que s’il les avait acceptées (10). Toutefois, un tempérament pourrait être admis par la Cour de cassation dans l’hypothèse d’une modification mineure et non substantielle des conditions générales ou dans celle d’une modification des conditions générales à la faveur d’un renforcement des droits de l’assuré. De tels tempéraments ne remettraient pas en cause l’objectif poursuivi par l’article 1119 du Code civil et permettraient une simplification non dommageable des conditions de négociation.

Quelle est l’incidence de la poursuite du contrat sur l’obligation spécifique d’information des conditions générales de l’assureur ? – La question est délicate et doit être mise en relation avec les dispositions relatives à la durée du contrat prévues aux articles 1210 et suivants du Code civil. Deux hypothèses doivent être distinguées qui sont celles de la prorogation (art. 1213 c. civ) et du renouvellement du contrat (art. 1214 C. civ). La prorogation est l’accord des parties au contrat ayant pour objet de reporter le terme initialement convenu d’un contrat à durée déterminée. Le renouvellement opère prolongation de la durée du contrat « par clonage » (11). La date du terme initial n’est pas modifiée, mais le contrat est « réinstallé » à l’identique pour une durée devenue indéterminée (art. 2014 al. 2nd). Le renouvellement couvre donc l’hypothèse de la « tacite reconduction » - au sens où l’entend l’article R.112-1 du Code des assurances – habituellement stipulée dans les contrats d’assurance de dommages à durée déterminée.

Substantiellement, prorogation et renouvellement sont très semblables puisqu’ils aboutissent l’un et l’autre à prolonger les relations contractuelles initiales au-delà du terme initialement convenu : les parties conservent les mêmes droits et sont tenues des mêmes obligations. Structurellement, ces deux modes de prolongation contractuelle divergent fortement puisque, contrairement à la prorogation, le renouvellement (ou la tacite reconduction) « donne naissance à un nouveau contrat (…) » (art. 1214 al. 2nd) et déclenche l’entier processus de mise en œuvre des mesures impératives de protection du consentement. Par conséquent, dans l’hypothèse d’une tacite reconduction d’un contrat d’assurance assorti de conditions générales, les mesures visées à l’article 1119 du Code civil devront à nouveau être respectées, sous peine d’ôter à ces dispositions leur caractère opposable pendant la période contractuelle nouvelle. 

Nul doute que l’articulation des articles 1119 et 1214 al. 2nd du Code civil recèle un danger pour l’assureur dans la mesure où le renouvellement du contrat donnera automatiquement naissance à un nouvel accord contractuel. La quiétude de la tacite reconduction sera trompeuse et l’auteur des conditions générales ne devra pas oublier qu’elles obéissent à un régime d’opposabilité particulier soumis à des conditions d’avertissement et d’acquiescement rigoureuses. Le risque encouru étant l’inopposabilité, les services de production disposent, pour les contrats d’un an tacitement reconductibles, de l’année qui a commencé à courir à l’entrée en vigueur de l’Ordonnance, le 1er octobre 2016, pour se conformer au nouveau dispositif.


(1) P. Catala, Avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription, Doc. Fr., 2006, et F. Terré, Pour une réforme du droit des contrats, Dalloz, 2009. 

(2) J. Bigot, Le contrat d’assurances, Traité, LGDJ 2014, 2e éd., tome 3, n° 359.

(3) Sur ce texte, voir : H. Barbier, Les grands mouvements du droit des contrats après l’Ordonnance du 10 février 2016, Dalloz 2016 , 247.

(4) Cass. Civ. 1re, 17 mars 1993, RGAT 1193.547.

(5) Cass. Ch. mixte, 7 février 2014, n° 12-85107, Jurisdata n° 2014-001528.

(6) Cass. Civ. 2e, 12 janvier 2017, n° de pourvoi 16-10003. 

(7) Cass. 1re civ., 30 mai 1995, n° 92-17.566 : RGAT 1995, p.898 ; Cass. 1ère civ., 10 avril 1996, n° 94-14.918.

(8) Cass. Civ 2e, 25 février 2010, n° 09-15900.

(9) Cass. 1re Civ., 7 octobre 1963, n° 61-12.915, RGAT 1964, p. 336 ; Cass. 1re Civ., 30 juin 1971, n° 70-12.730, RGAT 1972, p. 373 ; Cass. 1re Civ., 17 juin 1986, n° 84-14.717, RGAT 1986 p. 350 ; Cass. 1re Civ., 9 février 1999, n° 96-19.538, RGDA 1999, p. 318)

(10) Cass. Civ. 2e, 29 mars 2012, n° 11-30273.

(11) A. Bénabent, La prolongation du contrat, Revue des contrats, 2004, p. 117.